Des concours de vins ont plus de goût que d’autres

| 7 juillet 2018 | 0 commentaire

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Dans les rayons des grands magasins et autres enseignes spécialisées, les bouteilles de vin primées trônent en bonne place. Comme celles qui seront récompensées ce week-end lors du Mondial du chasselas, à Aigle. Souvent à côté de grands crus. Médailles, labels, notes, macarons accolés au goulot semblent donner un gage de qualité aux flacons présentés au consommateur moyen, souvent non averti. Cependant, aucun panneau, publicité, référence n’indique quel concours – international, national, régional, par cépage – est plus réputé qu’un autre.

De surcroît, depuis deux décennies, ce type de compétition de dégustation de vins à l’aveugle connaît une augmentation exponentielle, à travers le monde, principalement dans la vieille Europe. «On compte déjà une cinquantaine de concours internationaux, dont 35 parrainés par l’Organisation internationale de la vigne et du vin, gage de qualité et de sérieux, et des centaines d’autres. Il est quasi impossible d’établir des comparaisons», note François Murisier, président de la Fédération mondiale des grands concours internationaux de vins et spiritueux, qui regroupe, elle, quatorze grands concours, tel le Mondial des pinots, de VINEA, à Sierre.

«Chaque concours, et il y en a beaucoup, peut-être trop, est différent. Pas les mêmes dégustateurs, pas les mêmes concurrents, pas forcément les mêmes règles. Mais les jurés engagés ne sont pas des touristes. C’est sérieux», note Pascale Deneulin, professeure à Changins, dégustatrice et ancienne organisatrice de concours. Quelques très grands défis internationaux tiennent le haut du terroir. Citons les Vinalies en France, les Berliner Wein Trophy et Mundus Vini en Allemagne, l’International Wine and Spirit Competition en Angleterre, le Concours mondial de Bruxelles (ndlr: dont la 26e édition se déroulera aussi à Aigle en mai prochain), précise l’Allemand Michael Hornickel. Dégustateur reconnu, il préside la Fédération internationale des journalistes et écrivains du vin.

Les échantillons, testés par plusieurs centaines de dégustateurs – 330 pour le Bruxelles – se comptent dans les grands raouts en milliers d’exemplaires, tous pays et cépages confondus. Sur notre terroir, marché plus restreint, les plus (re)connus sont le Grand Prix du vin suisse, le Mondial du chasselas, ceux du merlot et des pinots. «Dans les concours régionaux et nationaux, les vins présentés sont souvent les meilleurs et les jurés principalement des œnologues et des producteurs. Ça reste un avis personnel, mais je trouve qu’il y a plus de valeur», poursuit Pascale Deneulin. Dans les grandes compétitions internationales, le panel des juges, attablés par cinq, huit ou dix, est plus diversifié. Le président de chaque table est souvent un œnologue.

À Pékin, lors du dernier Mondial de Bruxelles, nous avons rencontré – aux côtés de «leaders d’opinion», comme l’annonce l’organisateur – surtout des journalistes spécialisés de plus de 50 pays, des blogueurs, des œnologues, des producteurs, des dégustateurs professionnels. Comme Michael Hornickel, cofondateur de Mundus Vini. Plus près de nous, le Saint-Preyard Yves Paquier. Ancien formateur à Changins, il compte plus de vingt ans d’appréciations dans 18 pays différents. «Le règlement et le code de dégustation des grands concours sont indéniablement un gage de sérieux. On n’a que très peu d’informations, comme la couleur et le millésime, rarement plus. On regarde, on sent, on goûte. Ça provoque des émotions, quelquefois des coups de cœur. Surtout, nous voulons guider au mieux le consommateur, lui donner des recommandations.» À Pékin, les testeurs ont trempé leurs lèvres dans 150 vins en trois jours.

Publicité déterminante

«La publicité faite par les organisateurs pour faire briller leur concours est déterminante, avance Pascale Deneulin. Le jury de celui du Bruxelles est composé pour moitié de journalistes spécialisés qui en parlent dans leur média. C’est tout bonus.» L’Union des œnologues de France édite le très couru «Guide Vinalies», qui recense après le concours les producteurs vainqueurs. Avec maintes informations. Une belle pub.

«Certains organisateurs me posent quelquefois la question «Que faire pour se faire connaître?» Je réponds qu’en effet il faut communiquer et faire parler du concours. Surtout, asseoir une renommée par la qualité. Ainsi, de plus en plus de producteurs sont informés et s’inscrivent. Ce qui est bénéfique pour le concours.» La loi du marché joue un rôle, selon Michael Hornickel. «L’Allemagne est le premier importateur de vins au monde. Donc de très nombreux et bons producteurs concourent à Mundus Vini et autres compétitions pour être récompensés et, ainsi, mieux pénétrer notre marché.» Le nombre de médailles et leur métal posent question. Selon les règles de l’OIV, les lauréats ne doivent pas dépasser 30%. «Ça peut paraître beaucoup, ça signifie surtout que 70% ont été recalés, note François Murisier. Seuls 10% récoltent de l’or.» De l’or, oui, mais lequel? Dans plusieurs concours, sur le podium on trouve tout en haut la médaille Grand Or, puis l’or et enfin l’argent. Le bronze est banni. «Il y a vingt ans que c’est comme ça, car le bronze n’est pas vendeur. Le consommateur préfère viser les premiers et deuxièmes choix, qu’ils croient être or et argent», explique Michael Hornickel. Une astuce que l’amateur de vins ne connaît pas évidemment à l’heure du choix.

Médaillés confirmés

En revanche, pas de tricherie sur la qualité des vins médaillés, dégustateurs pros ou non. Et une étude semble le prouver. Il y a quelques années, Pascale Deneulin et des collègues français ont fait goûter douze vins, certains médaillés, d’autres recalés. Leurs propriétaires avaient candidaté au Concours des sept ceps de Bourg-en-Bresse (vins français, suisses et italiens autour du Mont-Blanc). «Nous avons fait déguster à l’aveugle, dans un box, avec lumière neutre et notification sur ordinateur, 100 amateurs en France, 100 en Suisse. Les vins arrivés en tête étaient les médaillés.»

Bonne récolte pour les producteurs

Grandes maisons de vins, petits et moyens vignerons vaudois participent de manière générale à des concours de dégustation. C’est le cas depuis trente ans de la famille Grognuz, de la Cave des Rois, qui possède des vignes à Villeneuve, à Saint-Saphorin et aux Évouettes (VS). «Nous sommes obligés de cibler, car la participation à un coût: de 130 à 150 francs l’échantillon dans les grandes manifestations», indique Marco Grognuz. Ainsi, la famille privilégie les concours suisses comme le Grand Prix des vins, le Mondial du chasselas, la Sélection de l’Office des vins vaudois, soit cinq participations en tout en 2017.

Premier producteur de vins suisses, Schenk vient de glaner une médaille pour Château Maison-Blanche, à Yvorne, lors du dernier Mondial de Bruxelles, organisé à Pékin. La société rolloise participe à passablement «de concours nationaux et régionaux. Certains vins seulement sont présentés à l’international, en fonction de leur profil ou de leur canal de distribution, l’export par exemple», indique Thierry Ciampi, œnologue responsable, qui ne connaît pas le coût global annuel de la participation de son entreprise. Pour Obrist, les inscriptions, envois d’échantillons, commandes d’autocollants des vins primés se montent «à 25’000 francs par an», confie Léonard Pfister, œnologue. La société veveysanne, qui candidate tous azimuts, a reçu trois médailles le mois dernier dans la capitale chinoise. «Pour nous, il est certain que les médailles de concours reconnus ont une valeur et un impact direct sur les ventes. Les grandes médailles notamment bénéficient d’une retombée immédiate. Comme avec notre Clos du Rocher 2011, élu meilleur chasselas au premier Mondial en 2012. Pour le consommateur, une médaille incarne une garantie de qualité», détaille Léonard Pfister. «Certains de nos clients sont assez demandeurs et friands de ces distinctions», complète Thierry Ciampi.

La Cave des Rois a réussi un gros coup en 2014. «Un de nos vins a récolté le plus haut pointage au Mondial du pinot noir. Là, on a eu un gros impact, ça a vraiment boosté les ventes», confirme Marco Grognuz.

«Les concours? Je n’y participe plus. C’est une loterie, ça me dérange un peu», déclare Basile Monachon, qui incarne la septième génération de vignerons à Rivaz. «J’ai concouru une fois avec mon saint-saphorin Les Manchettes 2015. Résultat: une médaille d’or à la Sélection des vins vaudois et tout au fond de la classe au Mondial du chasselas pour la même bouteille.» Et l’impact sur les ventes? «Mon père, Pierre, a fait l’expérience il y a vingt ans. Une médaille d’or lui a fait vendre trois cartons…»

Article de Christophe Boillat paru le 26 juin dans 24 Heures

Petite précision du Mondial du Chasselas: Basile Monachon a la mémoire courte. Son St-Saphorin Les Manchettes 2015 a obtenu une médaille d’argent au Mondial du Chasselas 2016. Difficile d’affirmer qu’il
a terminé «tout au fond de la classe».

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Category: Articles généraux sur le Chasselas

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