Mondial du Chasselas 2020, Liberté et Plaisir

| 1 juillet 2020 | 0 commentaire

Pour ceux qui l’ignorent, Liberté et Patrie, c’est la devise du Pays de Vaud, que l’on peut lire sur tous ses drapeaux. Et c’est justement dans ce joli canton suisse, à Aigle, que s’est déroulée l’édition 2020 du Mondial du Chasselas. C’est pourquoi j’ai eu envie de détourner cette devise, pour adopter celle qui me semble résumer cette manifestation: Liberté et Plaisir.

Liberté, parce qu’il s’agissait pour moi de ma première sortie post-confinement (ma dernière, pour les Vinalies de Paris, c’était tout début mars, autant dire une éternité, quand on aime voir des vigneronnes, des vignerons et des vignobles, comme moi). Et aussi, parce que les Suisses, aujourd’hui, tout en respectant les consignes de prudence, semblent avoir adopté une attitude plus sereine face à l’épidémie. Pas de désinvolture, non, ce n’est pas leur genre, mais pas d’obsession non plus.

D’autant que les organisateurs ont tout fait pour nous rendre les choses plus agréables: durant les deux matinées de dégustation, nous avons retrouvé le magnifique Château d’Aigle et son écrin de vigne (dont le Clos du Paradis, ça ne s’invente pas!), pour un type de confinement tout à fait supportable. Pour les excursions post-dégustations, chez Germanier, et pour quelques uns, au Domaine des Rois, nos accompagnateurs ont veillé non seulement sur notre santé, mais également sur notre appétit et notre soif.

Plaisir, parce que j’en ai eu beaucoup à retrouver des amis que je rencontre régulièrement sur ce concours, et bien entendu, à déguster des Chasselas. En vrai. Avec des vrais gens, pas en zoom, ni en tweet, ni en insta, pas en virtuel, quoi.

Et pour parler des vins, justement, j’ai trouvé cette édition particulièrement plaisante. Et instructive. La plupart des échantillons, en effet, quelle que soit leur origine (différents cantons suisses, mais aussi Oregon et Pays de Bade, à ma table), étaient issus des millésimes 2018 et 2019. Deux millésimes aussi différents qu’on puisse en trouver, le premier solaire, puissant, plus riche que la moyenne, et que dont nous avons pu, pour les meilleurs vins, apprécier la remarquable opulence ; le second, 2019, beaucoup plus élancé, avec, comme trait le plus remarquable, une acidité assez rare pour ce cépage (au moins dans les régions où le vin fait la malo, comme en Suisse).

J’ai donc trouvé l’exercice particulièrement intéressant, même s’il était aussi difficile – chacun de ces deux types de vin peut avoir son agrément, tout est une question d’équilibre. Ce qui, pour un vin donné, en 2019, passera pour de la maigreur, pourra s’appeler délicatesse ou élégance en fonction de l’harmonie d’ensemble. Et du côté des 2018, on oscillera entre des qualificatifs comme « opulent » ou « alcooleux ».

Voila, en tout cas, qui infirmait la réputation de neutralité que l’on fait parfois au Chasselas (j’en parle d’autant plus librement que c’était mon avis quand j’ai abordé ce cépage pour la première fois, il y a une quinzaine d’années). Certes, le Chasselas est l’école de la subtilité, il ne faut pas y chercher l’aromatique explosive d’un Gewurztraminer, ni la corpulence d’un Chardonnay. Mais cette année, en comparant les millésimes et les origines, on a pu constater à quel point il pouvait être marqué par le climat, le sol et leur interaction. En 2018, année solaire, paradoxalement, ce sont souvent les zones les plus fraîches qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu.

En point d’orgue, le deuxième jour, nous avons et également le plaisir de déguster des millésimes plus anciens, en remontant jusqu’à la fin des années 1990. L’exercice peut sembler anecdotique, vu que la plupart des Chasselas, en Suisse comme ailleurs, sont consommés jeunes. Il ne l’est pas, car au vieillissement, s’il est bien conservé (et la capsule à vis y contribue), le Chasselas développe une aromatique, mais aussi une texture qu’on ne lui soupçonnerait pas. Les meilleurs prennent des notes de miel, une suavité, une élégance rare, l’amertume qui le caractérise parfois en finale, dans ses vertes années, se fondant savoureusement avec l’âge.

A ce propos, il me faut souligner que ce concours est un de ceux où l’on compte le moins de vins à défauts. Pas de goût de bouchon, cette année, à ma table, quelques rares cas d’oxydation prématurée, un très petit taux de vins pas nets. Nous avons eu des vins plus intéressants que d’autres, bien sûr, mais  l’immense majorité étaient correctement faits.

En outre, j’ai eu la chance d’avoir des compagnons et compagne de jury très faciles à vivre, ouverts d’esprit, et un président affable – bref, personne qui cherchait, ni à imposer ses vues, ni à étaler sa science, deux choses toujours assez toujours pénibles dans ce genre de manifestations.

Yvorne (Vaud)

A partir des deux visites post-dégustations, mais aussi des vins qui étaient servis à table lors des repas, ainsi que d’un petit tri dans la dotation que j’ai reçue (chaque dégustateur reçoit trois vins par journée, tirés au hasard parmi les doublons du concours), j’ai effectué pour vous la petite sélection suivante:

Château d’Auvernier Non Filtré 2018, AOC Neuchâtel

Le non-filtré, c’est une institution neuchâteloise. Une sorte de Beaujolais Nouveau blanc et suisse. Mais ce Château d’Auvernier 2018 prouve qu’il y a une vie au-delà du primeur. Il est certes très dynamique, avec sa pointe de frisant, mais aussi gourmand et long en bouche.
Environ 15 CHF

Mercier La Goutte d’Or 2018 Vieilles Vignes, AOP Crépy

Nous sommes en France, à Douvaine, chez Mercier; de l’autre côté du Léman, mais toujours en pays de Chasselas – le cépage du Crépy. Ce 2018 bien ciselé nous offre des notes de tilleul, une touche légèrement fumée et pas mal de punch en finale.
7,5 euros.

Domaine Pabiot La Danse des Cerisiers 2018, AOP Pouilly-sur-Loire

Il n’y a pas que les cerisiers qui dansent avec cette cuvée de Roger Pabiot (grand-père, fils, mais aussi petite-fille), vinifiée en oeuf: nos papilles aussi, séduites par ses belles notes florales au nez, et sa grande délicatesse en bouche; en finale, celle-ci nous offre une pincée de poivre et un grain de sel (ou serait-ce l’inverse?)
12 euros

Clos de la George 2018, Yvorne Premier Grand Cru AOC Chablais

Le Clos de la George, un domaine d’Yvorne excellemment bien situé, présente généralement des vins assez riches; mais pour son 2018, c’est encore plus évident – ses arômes fruités (pêche, abricot, agrumes) et floraux (jasmin, aubépine) sont très plaisants, sa bouche longue complexe (fruits secs et épices douces). Et pourtant, cela reste plein de punch. Un vin racé, comme on dirait d’un pur sang.
20,5 CHF

Château Maison Blanche Yvorne Grand Cru 2010 AOC Chablais

L’exemple type du Chasselas qui vous séduit par son fruité quand il est jeune, mais qui vous donne envie de passer du temps avec lui quand il a pris de l’âge. Car à 10 ans, ce Château Maison Blanche (groupe Schenk) a peut-être un peu moins de charme évident, mais plus de conversation; maintenant, tout est plus en place, mieux intégré, et c’est tout un dégradé, toute une palette de saveurs florales, fruitée et épicées qui se déclinent en bouche.
Aux alentours de 20 CHF

Vétroz (Valais)

Jean René Germanier Les Terrasses Fendant de Vétroz, AOC Valais 2019

Le Fendant comme on l’aime, sans chichis, sans prise de tête. De la puissance, mais bien maîtrisée, de jolies notes d’agrumes et une jolie salinité. Si Jean-René Germanier est bien connu pour ses rouges (notamment son Cayas), à l’évidence, il sait vinifier les blancs.
13,50 CHF

Cave des Rois, Cuvée Le Chevalier 2019, Grand Cru Saint-Saphorin AOC Lavaux et Cave des Rois, Lieu-Dit Les Rois 2019, Grand Cru Villeneuve AOC Chablais

Deux vins du même producteur, La Cave des Rois (famille Grognuz); même cépage, même millésime. Les deux vignes ne sont séparées que d’une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau, mais la première se trouve sur des terrasses argileuses et limoneuses du Lavaux, orientées plein sud, et la deuxième, à Villeneuve, au bout du lac Léman, sur des alluvions du Rhône riches en graviers, avec une orientation sud-ouest. Deux expressions différentes, le Saint-Saphorin plus pointu, sur la tension et la salinité; le Villeneuve plus fruité, plus rond et au toucher très soyeux.
16 et 15 CHF

A l’année prochaine…

En espérant que ces quelques noms vous donnent l’envie de vous intéresser à un cépage, qui, s’il ne brille généralement pas par sa puissance, est sans doute le cépage de la buvabilité par excellence. Sans compter qu’il présente une remarquable polyvalence, en matière de gastronomie, de l’apéritif jusqu’au fromage en passant par le poisson, la volaille et la viande blanche…

Un seul regret: qu’il me faille attendre encore un an pour renouveler l’expérience!

Hervé Lalau

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Category: Mondial du Chasselas 2020

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