Au Dézaley, le chasselas connaît un âge mûr toujours séduisant

| 3 août 2017 | 0 commentaire
Aigle le 23 juin 2017 Château d'Aigle  Mondial du Chasselas  cérémonie officielle de proclamation des résultats et de remise des prix, ouverture de la fête populaire ©2017,studio edouard curchod, tous droits réservés

Aigle le 23 juin 2017 Château d’Aigle Mondial du Chasselas cérémonie officielle de proclamation des résultats et de remise des prix, ouverture de la fête populaire ©2017,studio edouard curchod, tous droits réservés

C’est une dégustation un peu particulière qui s’est tenue en juin à la maison Buttin-de-Loës, à Grandvaux. La Baronnie du Dézaley avait convoqué un jury de spécialistes (lire ci-contre) pour déterminer si les 2006 et 2008 pouvaient passer dans leurs «grands millésimes». Tradition oblige, ce même jury et quelques privilégiés allaient également déguster plusieurs crus plus vieux de dix et vingt ans, soit 1986, 1988, 1996 et 1998
A ceux qui croient encore qu’il faut boire le chasselas le plus rapidement possible, rappelons que ce cépage connaît deux âges: celui de la jeunesse où il exprime des parfums floraux et de fruits blancs, son côté frais et vivace, où «il en redemande», comme disent les vignerons, puisqu’il ne coupe pas la soif. Puis, poussé sur un beau terroir, vinifié le plus simplement possible, il passe à l’âge adulte après un nombre variable d’années, développant des arômes de miel, de fruits secs, d’abricot, qui «le rapprochent de la marsanne», affirme Louis-Philippe Bovard, un des fondateurs de cette baronnie en 1994, qui regroupe une douzaine de producteurs autour d’une charte de qualité. «Nous voulons mettre le Dézaley en vedette, puisque ce n’est pas une appellation comme les autres», rappelle son doyen.

Un côté marketing
Cette notion de «grand millésime» est une manière de rappeler que les Dézaley vieillissent bien puisque toutes les années seront sélectionnées un jour ou l’autre pour en faire partie. «Il s’agit de déterminer à quel moment ces vins passent de l’autre côté et changent de caractère.» C’est le premier but de la matinée, où on va déguster à l’aveugle quatre vins de chaque année, pour moitié venant des membres et le solde d’autres producteurs. Mais le jury indépendant va également noter ces millésimes sur une échelle de 5 étoiles. Au final, la Baronnie va ensuite vendre ces vins de garde, l’acheteur sachant la cote de l’année.

On commence donc par le 2008, une année «tardive, où le côté aromatique est plus marqué, face à une acidité bien présente», explique Louis-Philippe Bovard, dont les archives sont précises. Les cinq jurés le trouvent effectivement suffisamment mûrs pour être sélectionnés mais ne lui accorderont que deux étoiles. «Il faut aussi des notes plus basses pour valoriser les cinq étoiles, affirme le producteur Louis Fonjallaz. Cela procure des plaisirs différents.»
Place au 2006, qui avait été recalé par le jury il y a deux ans, parce qu’encore trop jeune en bouche. Cette année plutôt précoce suivait la grêle de 2005 qui avait martyrisé les bois, a connu une météo caniculaire puis humide. «C’est d’une très grande élégance», affirme le dégustateur François Murisier. «J’ai beaucoup aimé», dit Chandra Kurt. Deux des jurés se demandent pourtant s’il ne faudrait pas encore attendre. «Il n’est pas si cohérent à ce stade», regrette Samuel Panchard. Il passera pourtant, avec trois étoiles.

Des beaux ancêtres
Preuve que les vins n’évoluent pas toujours comme on les attendait, la dégustation des vins plus anciens allait donner quelques surprises. Le 1998, d’abord, «année plutôt sèche avant que des grosses pluies fassent grossir démesurément les baies dix jours avant les vendanges». Les dégustateurs sont conquis. «C’est encore très jeune, d’une belle finesse, très précis», estime Chandra Kurt. Du coup, il passe de trois à quatre étoiles. Le 1996, où «il a neigé jusqu’à 600 m au moment des vendanges», connaîtra la même réévaluation: «Des grands vins, de la noblesse, de la race, des arômes tertiaires positifs», se réjouit Dominique Fornage.
Changement de décennie avec ce 1988, «année froide et de très faible récolte». Pour François Murisier, «c’est un exemple de quand le terroir domine le cépage». Yves Beck est enthousiaste: «Cela nous rappelle à quel point un chasselas peut être grand.» Chandra Kurt enchaîne: «Ces vins sont étonnants et excitants.» Là, le bond est spectaculaire, puisque le millésime passe d’un modeste deux étoiles à quatre. La (légère) déception viendra au final. Après toutes ces joies, le 1986, «année généreuse et stable», se révèle presque passé. «Le vin a dépassé ce qu’il pouvait donner», regrette Dominique Fornage. «Il a trop d’arômes de champignon, il faut le boire maintenant», estime Chandra Kurt. Mais Yves Beck le trouve «très typé». Il restera stable à trois étoiles. Comme quoi les promesses ne sont pas toujours tenues…

Un jury de beaux palais
Le jury de dégustation comptait cette année sur François Murisier, actuel président de Vinea, Dominique Fornage, restaurateur valaisan, ancien gérant du Château de Villa à Sion, Chandra Kurt, journaliste et dégustatrice alémanique, Yves Beck, dégustateur reconnu particulièrement en bordeaux, et Samuel Panchard, le nouvel oenologue cantonal vaudois. Chaque millésime était représenté par quatre vins, passé en carafe à chasselas avant d’être servi à l’aveugle par des membres de l’association, comme Luc Massy, Louis Fonjallaz ou Grégoire Dubois.

Article de David Moginier paru le 21 juillet 2017 dans 24 Heures

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Category: Le Chasselas aujourd'hui

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